Les graines qui ont donné naissance à iPapillon ont été semées il y a plus de 60 ans, au moment où Jacques Larrivée a entrepris l’Étude des populations d’oiseaux du Québec (ÉPOQ). Ce programme de collecte de données sur les oiseaux représente aujourd’hui, avec plus de six millions d’observations, le plus long programme du genre jamais mené en Amérique du Nord. Ses feuillets d’observations quotidiennes ont permis de collecter des données extrêmement fiables sur l’évolution et la phénologie des populations d’oiseaux, et de créer des modèles géographiques et climatiques de leur abondance aux niveaux local et régional, de même qu’à l’échelle du continent.
Le jeune Maxim Larrivée a ainsi grandi dans l’est du Québec en remplissant des feuillets d’observations avec son père. Plutôt que les oiseaux, ce sont les papillons qui ont capté son attention. « J’avais à peine cinq ans que je nageais déjà dans les feuillets d’observations d’oiseaux et de papillons, dit-il. J’ai commencé à penser à créer un site Web de collecte de données sur les papillons au moyen de listes d’observations en 2000, quand j’ai commencé l’université. »
Mais ce n’est pas avant de devenir chercheur postdoctoral à l’Unité canadienne de recherche écoinformatique, dirigée par Jeremy Kerr à l’Université d’Ottawa, qu’il a pu mettre son projet à exécution. Il s’agissait au départ de regrouper dans une seule et même base de données toutes les observations de papillons répertoriées au Canada et de poursuivre l’inventaire dans l’ensemble du pays. Et le seul moyen d’y arriver sur la base d’un maigre budget de recherche consistait à rassembler le plus grand nombre possible de lépidoptéristes professionnels et d’observateurs de papillons amateurs.
« En 2010, j’ai mis deux équipes de chercheurs universitaires en informatique en concurrence en leur demandant de créer une version bêta du site iPapillon, dit Maxim Larrivée. C’est comme ça que j’ai rencontré Sambo Zhang, qui s’est révélé être un vrai génie de la programmation dans ce domaine, et nous travaillons ensemble depuis ce temps-là. » Après avoir passé deux ans à perfectionner le système, ils ont lancé une modeste version canadienne du site iPapillon en 2012. Le site a eu beaucoup de succès au Canada, mais ils savaient qu’ils pouvaient encore l’améliorer et l’étendre à l’ensemble de l’Amérique du Nord.
Une chercheure scientifique de l’Université d’État de l’Oregon, Katy Prudic, était elle aussi de cet avis. Selon elle, les papillons, qui représentent un élément important de nombreux écosystèmes, sont extrêmement sensibles aux changements de température, à l’augmentation de la population, à l’étalement urbain, à l’évolution de l’utilisation des sols et des eaux, et à un grand nombre d’autres facteurs. En ayant recours à des ordinateurs puissants, les experts sont en mesure d’interpréter ces changements et de mieux comprendre leurs incidences sur la biodiversité, mais ils ne sont pas assez nombreux pour collecter eux-mêmes toutes les données. Elle a rapidement rejoint les rangs de l’équipe iPapillon, qu’elle a aidée à prendre de l’expansion en Amérique du Nord.
Porté par sa popularité toujours croissante, iPapillon était prêt à poursuivre son évolution. Kent McFarland, lui-même observateur de papillons depuis de nombreuses années et directeur de l’inventaire des papillons du Vermont au Centre d’études écologiques du Vermont, avait géré le portail eBird de l’État du Vermont durant plus d’une décennie. « J’ai commencé à utiliser le site iPapillon dès que je l’ai découvert, dit-il, et j’ai compris qu’il avait le potentiel nécessaire pour devenir un jour aussi important et puissant qu’eBird. »
Il s’est joint aux autres membres de l’équipe, laquelle n’a pas tardé à se rendre au laboratoire d’ornithologie de l’Université Cornell, où elle a bénéficié pendant quelques jours des conseils techniques des créateurs d’eBird. « Les membres de l’équipe eBird ont été vraiment fantastiques, dit Maxim Larrivée. Ils nous ont fortement encouragés à continuer et nous ont donné des conseils incroyablement utiles à tous les niveaux. Grâce à leur aide, nous avons pu progresser très rapidement. »
Ainsi instruite des secrets de la réussite d’eBird, l’équipe a travaillé sans relâche au cours de l’automne et de l’hiver pour que la nouvelle version améliorée d’iPapillon soit prête à temps pour le printemps. « La plus grosse part du travail est revenue à Sambo, dit Maxim Larrivée. Il prend une idée qui nous vient ou un outil d’eBird que nous aimons, et quelques jours plus tard il nous en propose une version bêta pour iPapillon. Il est vraiment incroyable. »
Encore plus agréable à regarder et plus facile à utiliser, iPapillon permet à tous, jeunes ou vieux, débutants ou experts, de partager facilement avec d’autres leurs observations de papillons, qu’ils se trouvent dans leur jardin ou au sommet d’une montagne éloignée. « Ce qu’il nous faut, affirme Katy Prudic, et ce qu’à notre avis offre maintenant le nouveau site iPapillon, c’est un outil qui permette à des milliers de gens de contribuer à la collecte de données sur les papillons dans toute l’Amérique du Nord pendant encore des décennies. Ce sera une magnifique occasion pour les gens de participer à la recherche scientifique, de suivre l’évolution de notre monde en constante transformation, de se rapprocher de la nature et de profiter de la biodiversité. »